Bonjour chez vous !
Pirates, mes amis, mes
frères
...
Où l'on voit que
Numéro 6 se sent réanimé par le
témoignage des pirates de renom.
Où Numéro 6 se nomme.
L'honorable Deckard
m'ayant donné la parole, qu'il me soit permis d'interpeler
et de m'adresser collectivement à tous ceux que j'ai pu
côtoyer il y a presque 25 ans.
Pour vous demander pardon !
Pardon de vous avoir oubliés : mis à part JPL, un vrai
frère jumeau, de ces hommes qu'on ne peut pas oublier, s'il
me le permet, je ne me souviens plus de vous et de vos visages, alors
que vos témoignages parlent de Numéro
6 en des termes qui me font rougir.
J'ai une excuse, bien faible : j'ai voulu enterrer mes vieilles images
et leurs icones dans le même temps que j'essayais d'effacer
les traces d'un mariage raté tout en préservant
la seule chose qui fasse le bonheur d'une vie - et ses tracas, petits
et grands : un enfant, ma fille qui aborde aujourd'hui, brillante, son
âge adulte alors que son grand-père vient de
mourir.
Vous réapparaissez dans ma vie,
non pas comme les fantômes d'un passé honteux,
mais comme des voix lointaines me rappelant à une vie que je
n'aurais jamais voulu abandonner : il n'est plus temps de se taire ;
vous m'avez montré à nouveau le chemin, je vais
joindre ma parole aux vôtres ...
... Pour adresser un hourra formidable
à Deckard
et JPL
pour leurs sites.
Associés à d'autres sites de part le monde, ils
constituent un véritable musée vivant, une
réserve de savoirs sans prix, un témoignage
extraordinaire d'une époque révolue qui a
jeté les assises de l'informatique d'aujourd'hui et, je le
crois, préfiguré les combats de demain pour une
certaine idée de la liberté.
... Pour honorer ceux que nous
étions.
Bien sûr, l'écrasante majorité des
pirates n'étaient que consommateurs de logiciels copiables
dans un environnement économique hypocrite. Bien
sûr, une grande partie de l'underground n'était
motivé que par une course
éphémère à la
renommée où la rapidité de la
compétition l'emportait sur la qualité de la
course et la valeur du trophée. Bien sûr, une
petite mafia sans trop de scrupules cherchait des moyens obscurs de
monayer leur petit savoir. Mais ceux qui y ont laissé leur
pseudo, leur petit nom, étaient, peu ou prou,
motivés par quelque chose de grand, qui les
dépassait, et dont on cherchait à les
déposséder : un morceau de culture.
... Pour saluer ceux que nous sommes
devenus.
'GodFather',
tu n'es le Parrain que d'une mauvaise mafia.
'Lot',
à propos, pourquoi t'appellais-tu 'Lot' ?
'Mister Z',
tu te représentes comme l'inconnu d'une
hypothétique équation.
'JPL', tu
ne t'es jamais vraiment caché derrière des
initiales.
'Numéro 6'
j'ai été, 'Numéro
6' je suis.
J'ai longtemps cru que mon pseudonyme, 'Numéro
6',
n'était dû qu'à l'admiration sans
limite que j'avais et que j'ai toujours pour le feuilleton britannique 'le Prisonnier' de
Patrick Mc Goohan: "Je ne
suis pas un numéro ! Je suis un
homme libre !" - Souvenez-vous ! Il m'a fallu
près de 20
ans, et je rigole encore de mon caractère ingénu,
pour m'apercevoir qu'il évoquait aussi le rang que j'occupe
dans ma fratrie : je suis le sixième et dernier enfant de
mes parents. Ma merveilleuse femme est 'Numéro 7' de la
sienne. Il y a des forces auxquelles on n'échappe pas et
auxquelles on n'aurait voulu échapper à aucun
prix.
Mes amis m'appelent
'Jean-François' :
je suis Jean-François CARETTE, fier d'avoir
été et d'être toujours des
vôtres !
01.Pourquoi N6 est devenu pirate ?
Où l'on
apprend
pourquoi N6 est devenu pirate.
Parler de soi, c'est se mettre en
scène, la plupart du temps au centre de la scène.
Alors, commençons tout de suite par poser un peu de distance
; mon père me répétait souvent :
"Bienheureux ceux qui sont
capables
de
rire d'eux-même, ... ils n'ont pas fini de rigoler !"
Fin des années 70, j'avais
créé un cabinet conseil dont la vocation
était de développer des inventions ; il n'a
laissé aucune trace dans l'économie de ce pays,
mais il m'a permis de rencontrer pêle-mêle un
cousin d'Estaing, le frère de Pierre Desproges et un membre
de la famille Ouphouët-Boigny, sans oublier quelques escrocs :
j'ai ainsi pu travailler sur des projets d'énergie solaire,
d'enrênnement de chevaux et de commerce de cacao. Les deux
projets qui ont connu un tout petit succès
étaient la création d'un jeu d'entreprise
façon Monopoly et un logiciel tout-à-fait
remarquable. Nous y voilà !
J'avais fait la connaissance d'un "savant
fou", dont IBM avait fini par se débarasser et qui avait
écrit en Pascal un logiciel d'Enseignement
Assisté par Ordinateur : ce logiciel était
capable d'interpréter le langage naturel, et donc de
créer des modules d'apprentissage spectaculaires.
Je passe un accord de commercialisation, je réjouis mon
banquier qui me prête un peu d'argent et j'achète
un Apple ][e. En 18 mois, je réussis à
vendre quelques licences - près d'une vingtaine en fait,
probablement les seules qui auront jamais été
vendues ! Tout ça pour ne gagner que quelques
misérables copeks et comprendre, mais trop tard,
qu'à l'instar de tout inventeur, le savant en question ne
voulait pas réellement vendre son produit et en abandonner
la paternité : je l'ai entendu refuser une proposition
d'achat de licence à hauteur d'un milliard de centimes de
l'époque (vous avez bien lu !) que lui offraient les
frères Warner temporairement propriétaires
d'Atari.
Inutile de dire que j'ai fini par me
fâcher : si vous ne comprenez pas pourquoi, calculez donc le
montant d'une commission honnête sur le marché en
question.
Que se serait-il passé si les
ordinateurs individuels avaient été,
dès le début des années 80,
dotés d'un système d'exploitation capable
d'interpréter des requêtes en langage naturel, en
lieu et place des bonnes vieilles commandes DOS qui nous ont tous tant
ravies ? Bien mieux que Google Desktop, vingt ans en avance !
Aparté
:
Reggiani a très joliment écrit :
"C'est drôle, les
cons : ça repose ! C'est comme
le feuillage au milieu des roses."
Mais je reste néanmoins d'accord avec JPL : "quand on est
con, il y a de très forte probabilités qu'on le
reste". Je rajouterais même que c'est
probablement
héréditaire, la plupart du temps. Pour aller un
peu plus loin : "Quand on est mort, c'est pour longtemps, quand on est
con, c'est pour l'éternité".
Alors, pas question de vous dire de qui il s'agissait ! D'autant que
ses fils ont pris la relève.
Je me retrouve donc à la fois
heureux possesseur d'un Apple qui coûte le prix d'une bonne
voiture d'occasion, sans vraiment savoir quoi en faire, et
détenteur d'une copie d'un logiciel d'enseignement,
gravée sur des disquettes soi-disant
protégées.
Ma rage était telle que je
voulais, non pas voler le logiciel pour le vendre, mais absolument
comprendre comment il fonctionnait, sur quelles bases il reposait, et,
en somme, savoir si je pouvais sauver quelque chose du revers financier
que j'avais subi. Une motivation un peu
désespérée et certainement
ambigüe, je veux bien l'avouer ! Attendez donc la suite !
J'avais déjà fait sauter le compteur
crétin qui m'empêchait théoriquement de
faire plus de démonstrations que la quantité
prévue par l'auteur. Quant au logiciel lui-même,
il était écrit en Pascal : il me fallait un
dé-Pcodeur ! J'ai cherché dans les journaux, les
bibliothèques, le minitel, n'importe où ; j'en ai
trouvé un au bout de plusieurs mois.
Le fin mot de cette histoire, c'est que je
n'ai jamais désassemblé le logiciel en question
alors qu'il était à ma
portée : je l'ai purement et simplement
jeté aux oubliettes ; mes recherches m'avaient fait
pénétrer dans les arcanes de l'Underground Apple,
c'était autrement passionnant !
Dix ans plus tard, je réaliserai
une petite maquette reproduisant les fonctionalités de base
du logiciel d'enseignement en question ; aujourd'hui comme hier, tout
le monde se moque bien de l'enseignement assisté par
ordinateur, à commencer par les enseignants
eux-mêmes.
02.La rencontre avec JPL.
Comment N6 fait-il la
connaissance
de JPL ?
Parmi les conseils que mon père
me répétait :
"Il faut bien cinquante ans
pour
faire
un homme !"
D'accord, mais au début, parce qu'il y a un
début, il faut bien naître au monde.
J'ai développé une
remarquable capacité à oublier tous les
évènements de cette époque,
résultat d'un divorce plutôt douloureux, je l'ai
déjà dit. Mais je n'ai pas oublié ma
rencontre avec
JPL.
Comment les pirates et apprentis pirates se
rencontraient-ils ? Dans les clubs informatiques, dans les salons
professionnels, grâce au Minitel, à la FNAC et
dans les boutiques informatiques. L'une de ces petites officines,
où l'on pouvait surtout trouver des disquettes pas
chères, s'appelait "Dynamic Computer" (ou quelque chose
comme ça) ; son gérant, qu'on appelait "le
chinois", était un aventurier du business : il sortait tout
juste d'un obscur négoce de montres qui avait fait faillite.
Il était flanqué d'un acolyte au profil de
camionneur avec des moustaches impressionnantes, toujours
prêt à raconter les bons coups marketing qui
avaient parsemé sa carrière. Le principal atout
du "chinois" était sa parfaite connaissance de
l'Extrême-Orient et les voyages réguliers qu'il
effectuait là-bas tous les 4 ou 6 mois pour en importer du
matériel et des logiciels. C'est dans
l'arrière-boutique de cette officine que j'ai appris comment
régler la vitesse de rotation d'un drive ; c'est dans cette
boutique que j'ai vu les premières copies d'Apple ][, les
cartes d'extension magiques, les jeux intraduisibles, sans oublier les
claviers foireux dont les touches étaient collées
à la glue, façon "ça a le
goût de l'Apple, ça a la couleur de l'Apple, mais
ça n'est pas de l'Apple !".
Il devait être vers les 19
heures, la fin d'une journée pluvieuse sur Paris ; une
silhouette, plutôt trapue, était
penchée sur l'une des machines exposée, ventre
à l'air : probablement pour essayer une carte d'extension
quelconque. C'était l'époque où il
suffisait d'arracher le couvercle de l'Apple pour créer un
attroupement autour de soi : la vision des entrailles
électroniques de ces machines avait pratiquement le
même effet que l'ouverture du capot d'une Formule1 sur le
circuit du Castelet.
- C'est chouette, tous ces composants !
J'aimerais bien y comprendre quelque chose !
- Bas ! c'est pas si compliqué !
- J'aimerais bien savoir comment c'est
écrit ... j'ai regardé ... le Basic, l'assembleur
... mais il y a beaucoup de programmes où on peut pas aller
voir dedans !
La silhouette se redresse, un sourire en
coin, une figure joviale et accueillante : pas du tout
bégueule, et plein de gentillesse,
JPL
jette :
- Bof ! Il faut créer une
NMI !
- Une NMI (plus tard, j'ai su qu'il
s'agissait d'une 'Non Masquable
Interruption') ? Comment on fait ?
- Tu raccordes la gneugneutième
patte du processeur à la masse ... attends ... à
travers un petit interrupteur poussoir, tu sais ? Parce, sans
ça, t'es mal !
C'est tout bête, pas besoin de soudure ... surtout pas !
Ca, ça me plaisait : l'absence
de soudure ! Moi, à qui il faut à peu
près 8 heures de travail acharné pour souder les
contacts d'une prise Peritel ! Sitôt rentré
à la maison, j'ai percé un trou dans la caisse de
l'Apple ][, installé un petit bouton poussoir à
tête rouge (détail important), raccordé
le tout au processeur et tenté ma première NMI,
le coeur tremblant de créer un court-circuit ravageur. Bien
sûr, ça a marché. J'étais
sur les bonnes rails.
Quelle gentillesse ! et quelle
simplicité ! Pas du tout le genre "J'en sais de toutes
façons plus que toi !" ou "Si tu crois que t'es le meilleur,
tu rêves !". Non ! Toujours prêt à
donner les premiers conseils.
Une amitié exceptionnelle
était née.
C'est lui qui a fait mon apprentissage : il s'en défendra,
prétextera que j'étais bon
élève. Il n'empêche, ça va
plus vite quand on a un bon mentor ! Très vite, par la
suite, quand on peut voler de ses propres ailes, on peut se mettre
à partager : j'espère lui avoir rendu son coup de
pouce initial.
JPL est
resté beau gosse : vingt
ans plus tard, il n'a même pas pris une ride ! Il a un peu la
gueule de Bruno Cremer jeune, sans la pipe bien sûr, avec le
même regard libertaire sur le monde, et forcément
beaucoup moins d'illusions.
03.Calypso et Backster.
La femme de N6 :
Il faut bien en parler (un peu !) :
pour n'en plus rien dire ensuite.
N6 était
marié
à
Calypso : à
coup sûr une de ces erreurs nécessaires qui font
grandir. Il est vrai que cette erreur-là était
assez grosse (comprenne qui pourra !).
Calypso
avait tous les attributs du
côté obscur de la Force : la couleur de ses
vêtements, la séduction, la puissance de
conviction et, probablement, fort peu de scrupules.
Ce n'était pas une meneuse
d'hommes ; je dirais plutôt : une croqueuse d'hommes. Son
truc ? Les réseaux. Pas IP ou TCP ou ...., non ! mais le
réseau téléphonique, les
réseaux minitel, et, aujourd'hui, un certain type de sites
Internet. Comprenne qui voudra ! Son ambition : séduire,
créer une petite cour d'admirateurs autour d'elle et
accéder à la
notoriété. Alors, oui ! Elle a
dû faire tourner la tête à plus d'un de
ces jeunes pirates encore adolescents, ou à peine
adulescents comme on dit aujourd'hui.
Le mariage avec
N6
? Une association de
l'eau et du feu (celui qui a parlé d'argent, qu'il se taise
!).
D'un côté, une soif de
notoriété et de bruits, associée
à une bonne capacité d'organisation ; de l'autre,
un ingénieur qui cherche, un curieux qui se passionne,
peut-être un faux monnayeur ou un faussaire (mais sans
monnaie), parfois un artiste, en tout cas, un "
connoisseur"
comme disent nos amis anglais.
Elle, elle avait le chic pour collectionner
les contacts : jeunes ou vieux, hommes ou femmes (tiens ! il n'y en
avait pratiquement aucune !), joueurs ou programmeurs,
étudiants ou professionnels, etc.. Surtout sur Minitel ! Sa
monnaie d'échange ? la collection la plus
complète possible de logiciels copiables : il
n'était pas rare de faire des copies à 1 contre
10 et je me souviens vaguement des tiroirs du bureau où
entre deux et trois milles disquettes étaient
rangées en ordre de bataille.
Lui, c'était son atout
maître : une disquette réticente ? N'importe !
N6
va la copier, lui ! Si on ne peut pas, il va la craquer ! S'il n'a pas
le temps, on va le demander aux autres, aux vrais pirates qui gravitent
dans ce petit système stellaire centré autour de
... la planète 'noire'.
En d'autres termes, au devant de la
scène : un théâtre avec son public ;
dans les coulisses : au moins plusieurs machiniste. On parlerait
savamment aujourd'hui d'un Back-Office et d'un Front-Office. La bonne
question, c'est de savoir qui du camelot ou de l'artisan avait le plus
de consistance, de matière grise, en un mot : de poids. La
réponse m'importe peu : chacun avait ses objectifs ; il
apparaîtra qu'ils étaient finalement
contradictoires.
Pour la petite histoire, et
à
l'usage de ceux qui se souviennent de cette soirée, c'est le
samedi soir où Calypso
organisa son premier grand
évènement Apple dans un restaurant des Champs
Elysées, en réunissant peut-être une
quarantaine de fans, que j'ai fait une colique
néphrétique et que je me suis retrouvé
aux Urgences. Mon corps tirait le signal d'alarme : c'en
était trop ! Quelques mois plus tard, j'entrai en
Résistance !
Davantage interessée par les
contacts,
Calypso
finira par trouver sa tasse de thé :
Backster !
Là, pour le coup, je n'y suis
pour rien du tout. Je me souviens simplement de quelques factures
France Télécom bien poivrées. Et de
quelques bricoleurs d'octets probablement tout autant
intéressés par la confection d'un service minitel
que par celle-là même qui en avait
inspiré, sinon rédigé, les grandes
fonctionnalités.
Le Minitel existait depuis déjà longtemps et
l'Internet ne pointait pas encore le bout de son nez.
JPL
développe un serveur Minitel (en fait : un moniteur, une
sorte de méta-moteur permettant de créer toutes
sortes de pages et de services Minitel - sans s'en douter, le bougre
avait inventé un langage balisé de type HTML,
dans son coin et en même temps que d'autres.). Un industriel
y voit l'opportunité de vendre des commutateurs
spécialisés. Deux ou trois soi-disant copains y
perçoivent la chance de faire de l'argent.
Calypso y a vu
l'occasion d'être la reine d'un jour : elle se transforme en
webmaster avant l'heure, s'acoquine avec je ne sais lequel de ses amis
ou relations et crée "Backster" le serveur Minitel qui
ré-invente le forum avant l'heure.
Roulez petits bolides !
Faillite, caisse vidée, détournements, ... j'en
passe et des meilleures. L'histoire ne m'appartient pas : je ne saurais
en dire plus ! Qu'il est difficile de trouver des gens à qui
faire confiance !
Tirez le rideau !
04.Copie et Copie-rate !
La
débâcle
(enfin un sujet qui prête à rire) !
Où l'on va enfin parler des
flibustiers,
de ceux qui n'ont rien fait d'autre que de se moquer d'aventuriers trop
gloutons.
Que pouvaient bien faire des pirates en ces
temps-là ? Sinon pirater des logiciels.
Je suis très triste pour ceux
qui vont lire ces lignes et qui ont cru devenir les maîtres
de l'industrie du logiciel en inventant des protections contre la
recopie de leurs oeuvres : je n'ai pas fini d'en rigoler ! Mais avec
des nuances qui ont leur importance.
Un rire
mélancolique
d'abord : adieu les belles protections d'antan ! L'informatique
poursuit inexorablement son oeuvre de miniaturisation et
d'intégration ; on n'a plus accès aux
contrôleurs divers qui permettaient tant de dispositions plus
tordues les unes que les autres ! Non ! Place au chiffrement
professionnel, presque militaire ! On ne s'amuse plus. Rentrez dans le
rang ! Nous y reviendrons.
A ce propos, si le dispositif "genuine
advantage" de Microsoft (rien que le nom me fait bien rigoler !)
résiste bien à tout craquage, est-ce parce que
les programmeurs géniaux de cette entreprise ont enfin
trouvé la parade ultime, ou est-ce parce que ça
n'intéresse plus grand'monde, pour ne pas dire personne ? A
leur place, je me méfierais d'une réponse trop
rapide.
Un rire
attendri
: pour la société qui a cru avoir convenablement
"plombé" son logiciel de jeu avec le M-code. Je vous demande
de me croire : je suis sincèrement
désolé d'avoir déplombé ce
logiciel en ne changeant qu'un seul octet. Tout d'abord, parce c'est
extrêmement frustrant (et oui ! paradoxal, non ?) de passer
tant de temps pour n'intervenir finalement que sur une seule brique :
imaginez une démonstration de mathématiques
impeccable et sans faille (presque !), en un mot : brillante ! avec une
simple erreur d'orthographe en page 325 ! Laquelle faute d'orthographe
- à ce stade, on n'ose pas parler de coquille - remet en
cause toute l'architecture si patiemment élaborée.
Ensuite, parce que je songe à l'auteur : il y avait mis tout
son coeur, le pôvre ! Il avait vendu sa solution à
son patron ! On lui avait même offert une bonne
rétribution. Patatras !
Un rire
féroce
: pour tous ceux qui se croyaient au-dessus des lois (je veux parler
des lois naturelles !). Ils s'imaginaient invincibles, crime d'orgueil
! Ils allaient jusqu'à laisser au beau milieu de leur code
quelque message vengeur signant leur prétendue
supériorité, sachant bien qu'il ne serait jamais
lu. Patatras !
Un rire
moqueur
: pour les jeunes idiots qui déprotégeait
l'improtégé, qui montait à l'assaut de
la frégate à quai et aux cales vides en pensant
s'attribuer un butin original et pouvoir hisser leur pavillon
à tête de mort en haut du mât ! Patatras
!
Un rire
agacé
: pour les futés qui pensait qu'on les croirait capables
d'être de grands pirates rien qu'en changeant un nom ou un
pseudo dans un écran d'accueil. C'était
tout-à-fait agaçant ! Irritant même !
Ici, le lecteur se dira :
"Touché ! Eux aussi, ils voulaient leurs noms en haut de
l'affiche."
On a beau être pirate ou
flibustier, on n'en est pas moins homme et, parfois, fier de son
travail. Patatras !
Qu'ils me pardonnent tous ! Je ne veux
offenser personne - sauf les cons, du moins ceux qui ne nous reposent
pas !
05.Pirates, Corsaires ou Hackers ?
Où l'on
comprend que
tout n'est pas commerce
.
Où l'on ne cherche pas
à justifier la piraterie,
mais où l'on souhaite mettre un peu d'ordre.
On nous qualifie de 'pirates'. Le
sommes-nous vraiment ? Il faut se référer un
instant au dictionnaire.
On peut y lire qu'un pirate,
à l'emblème de la tête de mort, est un
aventurier des mers qui pille les navires et dont Bossuet dit qu'il
faut en purger les mers. Bigre !
On peut y lire qu'un pirate
de l'air, s'empare odieusement d'otages sans
défense. re-Bigre !
On peut y lire également qu'un pirate informatique, sans
emblème, lui, est un individu sans scrupule qui s'introduit
dans un système informatique pour en tirer profit.
(re)re-Bigre !
On y apprend enfin que les synonymes de pirate
sont : boucanier,
corsaire,
écumeur, flibustier et forban. Bigre ! Bigre ! et Bigre !
Seul quelques dictionnaires, plus
indulgents sans doute, tentent une distinction entre les
"Frères de la Côte" et Surcouf.
Je ne me reconnais pas, je ne vous
reconnais plus dans tous ces sens aux connotations si
négatives. C'est peut-être parce que le
français, plus puritain pour une fois, n'a pas su inventer
de mot convenable pour une réalité en apparence
trop moderne. Tournons-nous vers l'étranger, vers les
anglo-saxons, plus fins que nous (tout peut arriver !), et qui
font une distinction d'importance entre 'Hacker' et 'Cracker'.
On découvre alors que si un cracker
a des intentions
criminelles, un hacker
n'a
pas l'intention de nuire. Ouf ! Deux consonnes qui font toute la
différence là où la
société gauloise n'a pas su inventer de nouveaux
mots : elle parle de pirates au sens de 'crackers' (comme à
l'apéritif, d'ailleurs), de fouineurs
au sens de 'hackers'. (Rajoutant une nouvelle consonne au mot qui croit
nous cerner, nous pourrions presque parler de ... Shackers.)
Enfin, je nous retrouve : nous avons
été, nous sommes des fouines, au museau
allongé, au corps habile à se faufiler partout,
cousine de l'hermine royale et parente éloignée
de la salamandre de la Renaissance. C'est beaucoup plus sympathique !
Nous voici aux côtés de François 1er et
de Leonard de Vinci, mazette !
Si donc, il s'agit de se faire entendre,
d'être des agitateurs de culture, alors, oui, nous sommes
encore, après l'avoir été un temps, de
vrais pirates. Merci de me l'avoir rappelé !
N.B. en forme de sourire.
La définition du "pirate
informatique" est instructive car
elle a un double sens : si l'on veut bien admettre je suis
réellement propriétaire de mon ordinateur
personnel, faisons alors la liste exhaustive de ceux qui s'introduisent
dans mon
système
informatique pour en tirer profit ; on pourrait bien y trouver le nom
de Microsoft ou d'Apple, de Google ou de FaceBook. C'est la
définition du dictionnaire qui doit être mauvaise,
bien sûr !
06.Des Pirates, oui ! Mais
romantiques !
Un 'pirate romantique',
qu'est-ce
que c'est ?
"Ne dites pas à ma
mère que je suis 'Hacker',
elle me croit pianiste de blues dans un bar".
.
L'écrasante majorité
des pirates n'étaient, ne sont encore aujourd'hui, que de
simples utilisateurs de spectaculaires machines, qui n'ont pas les
moyens de s'offrir tous les jeux, logiciels ou films dont ils
rêvent : dont ils ne rêvent d'ailleurs que
temporairement, juste pour voir. En plus, c'est comme un club : on
fréquente d'autres mondes ! Et puis, un petit frisson,
ça ne fait pas de mal, ça fait rêver
... ça fait voyager loin, dans des eaux sinon troubles, du
moins aventureuses. Moi, je trouve ça plus
délicieux que répréhensible. En plus,
si ça peut créer du lien social ... ça
devrait être subventionné par la
Sécurité Sociale.
Beaucoup moins nombreux, il y avait les
programmeurs : les jeunes qui voulaient devenir professionnels plus
vite et qui étaient prêts à laisser
tomber leurs études (j'ai toujours trouvé
ça effrayant et tenté, vainement bien
sûr, d'en dissuader quelques-uns), les ingénieurs
qui s'ennuyaient à leur travail.
Moins rares qu'on ne le croit, il y avait
ceux qui cherchaient à tirer profit, à petite
échelle (on pardonnera ceux à qui il manquait 10
francs d'argent de poche) ou à plus grande
échelle, comme ils l'auraient fait de n'importe quel
traffic. Y-a-t-il une vraie criminalité ? Probablement !
Peut-être pas aussi importante qu'on est prêt
à le croire. Porte-t-elle sur l'informatique
elle-même et les logiciels ou sur l'utilisation de
l'informatique ? Est-elle condamnable ? Oui, oui et oui, c'est clair.
J'allais oublier : il y a les corsaires !
Ceux qui font exactement le même travail que les pirates, en
moins bien évidemment, mais au nom d'une entreprise : je
décompile, je désassemble, je
détriture, je 'pirate' en somme, mais c'est pour la bonne
cause de la guerre économique, pour surveiller la
concurrence et voir si elle ne nous aurait pas honteusement
piraté nos propres routines, pour éviter que
cette même concurrence, surtout celle des pays sans foi ni
loi, ne nous déborde trop vite, pour ... sauver nos emplois
! Hypocrisie suprême ! Nous y reviendrons : on
mélange tout, on amalgame.
JPL
et quelques autres n'étaient
pas de ces races-là. C'étaient des romantiques ;
ils le sont encore.
Alors, pourquoi sont-ils devenus pirates ?
La première réponse est simple, presque trop
simple : c'est le plaisir.
Pas le plaisir que peut éprouver le voleur à la
tire après avoir chouré le portefeuille du badaud
qui n'y a vu que du feu ! Pas celui de l'habile faussaire satisfait
d'avoir fourgué la copie d'une oeuvre
célèbre à un collectionneur
imbécile ! Pas celui de l'homme politique élu
après une campagne remplie de promesses qu'il ne tiendra pas
!
En un mot : pas le plaisir de celui qui
trompe autrui.
Mais le plaisir de chercher, celui de découvrir, puis celui
de partager !
JPL
l'a dit dans son interview : ce n'est
pas le Graal qui importe le plus, c'est la Quête.
On est certain de ne jamais trouver le Graal, mais on poursuit sa
recherche, vingt siècle plus tard.
Je rajouterais que ce n'est pas la cible atteinte qui
intéresse, mais la traque : les vrais chasseurs comprennent.
Que ce n'est pas l'objectif qui motive, mais la démarche
suivie : les ingénieurs (!) commerciaux ne peuvent pas
comprendre ; qu'ils passent leur chemin !
Qu'on nous autorise un petit
écart, avant de redescendre sur terre ! Montherlant a
écrit une formule célèbre qui donne
plus de sens à ce qui précède : "Tout ce qui est atteint est
détruit".
Pour nous, pour moi, toute angoisse n'est
qu'existentielle : avoir la réponse est secondaire. Posez
donc la question à Sisyphe ! Ce qui est important, c'est
d'avancer debout ; le reste, s'il survient, n'est qu'accessoire. En
résumé, le plus important, c'est la vie, le
mouvement, la recherche. La question prime sur la réponse,
la démonstration sur la conclusion. Si l'on n'en est pas
convaincu, il suffit de se dire que toute conclusion amènera
inéluctablement de nouvelles questions. C'est en partie ce
qui définit le petit morceau d'humanité que nous
sommes.
En français plus simple, et pour
redescendre sur terre, il est, dans le piratage romantique, un double
plaisir intellectuel : démonter le mécanisme
d'une montre, et savoir le remonter avant d'en faire cadeau, disposer
d'un train électrique sans se satisfaire des circuits
proposés, utiliser son mecano pour créer de
nouvelles maquettes, ...
Dire que l'on aurait voulu nous priver de
ce bonheur ! Penser que, pour notre bien (mon oeil !), l'industrie
informatique est en passe d'y réussir ! Peut-être
pas : nous avons soulevé le couvercle de la boîte
de Pandore ; puisse-t-elle rester entre'ouverte !
07.Crack et Copyright.
Ca craque de tous les
côtés !
Les logiciels sont comme les Rolls Royce :
vous n'avez pas le droit d'ouvrir le capot !
.
Une boîte de vitesse automobile,
c'est simple : quand vous montez un engrenage à l'envers,
ça se voit tout de suite. Une fusée Saturn V,
c'est pas trop compliquée ; et pourtant, on serait bien en
peine aujourd'hui d'en fabriquer de nouvelles. Un automate joueur
d'échec du 19ème, c'est sophistiqué
mais abordable ; et pourtant, le secret des cames mécaniques
s'est estompé depuis déjà longtemps.
Alors, un ordinateur, mélange moderne de
matériels, visibles ou invisibles, de logiciels
immatériels qui ne sont que l'expression de
règles, de protocoles, d'algorithmes, et de contenus,
c'est-à-dire de pures créations de l'esprit
restituées l'espace d'un instant à quelqu'un ou
à quelques uns, alors
un ordinateur, c'est toute
une humanité condensée dans un peu de silicium.
Note pour JPL
: pardonnes-moi de te
paraphraser ici ; tu a écrit avec juste raison : "L'Apple ][, c'est toute l'informatique
dans une
petite boîte", je n'ai pas pu
m'empêcher de surenchérir.
Lorsque vous achetez une
cafetière, un poste de télévision, un
vélo ou une machine à laver, vous avez le droit
de démonter l'objet en question : les risques que vous
encourrez sont minimes :
- celui de perdre la garantie du
constructeur,
- celui de ne pas y arriver parce que vous
ne disposez pas du tournevis adapté à la fameuse
petite vis fabriquée maison,
précisément conçue pour vous
empêcher d'arriver à vos fins,
- celui de vous électrocuter un
peu parce que vous n'êtes pas très bricoleur, et
un peu inconscient,
- celui de ne pas savoir remonter l'objet
en bon état de marche.
Quelles que soient les mesures de
protection adoptées par le constructeur, s'il ne vous
encourage pas, il ne peut pas vous l'interdire. Heureusement
d'ailleurs, parce que si la majorité d'entre nous,
sacrifiant au Dieu des consommateurs, préfèrent
racheter un nouvel appareil lorsque l'ancien semble en panne, une
minorité sait encore comment changer un fusible,
détartrer une cafetière, recoller un morceau de
plastique, etc... Et je ne parle pas des voitures, dont plus d'une ne
doit de survivre qu'à l'acharnement de leur
propriétaire bricoleur.
On raconte que Rolls Royce garantissait
autrefois toute réparation de ses voitures dans le monde
entier : ses moteurs étaient plombés pour
interdire toute intervention étrangère : plus
exactement pour protéger le constructeur. Bien
sûr, quand on est l'heureux propriétaire d'une
Rolls Royce, on n'est pas trop attentif à ce genre de
détail.
Par ailleurs, les industriels
eux-mêmes ne se privent pas de désosser les
produits des concurrents : les premières voitures sorties de
toute chaîne de fabrication sont achetées par les
autres constructeurs, ne serait-ce que pour assurer la police de leurs
propres brevets. Qu'on ne soit pas naïf : quand Rank Xerox
livre une nouvelle imprimante rapide à une entreprise de
reproduction, Jouve par exemple, il est évident que celle-ci
est entièrement désossée,
passée au scanner, examinée à la loupe
; le plus honnête des objectifs du client est d'apprendre
à tirer un maximum de profits de l'outil, quite à
"... l'améliorer ... " un peu.
08.Le Prix de la
qualité.
La
dématérialisation ?
Où l'on voudrait nous faire
croire que tout est logiciel.
L'industrie du logiciel déclame
sa nécessité au travers de la
dématérialisation ; à les en croire,
il n'y aurait bientôt plus rien de matériel,
jusque et y compris l'homme.
C'est oublier que la
dématérialisation a ses limites.
Ce sont les échanges qui se
dématérialisent, pas les machines qui les rendent
possibles : elles ne font que se miniaturiser ou se dissimuler dans
d'autres machines ou d'autres infrastrucutures.
C'est oublier que GTA IV (Grand Theft Auto)
n'est pas un logiciel : ce n'est qu'un jeu, c'est-à-dire un
conteneur matériel de règles, d'images
animées ou non, de textes et de sons dont la restitution
s'opère par des logiciels aux fonctions relativement
standard sur des matériels qu'ils animent.
La révolution que nous vivons
n'est pas dématérialisation, ni
conquête du temps, d'ailleurs, à travers
l'illusion de l'instantanéité ; elle est
machinisation, suite logique de la mécanisation : nous
entrons dans une époque où tout est, et sera de
plus en plus, petite machine, grande machine ou gigantesque machine.
Les logiciels ne sont que les invisibles
rouages de ces machines bientôt moléculaires.
Accepter de ne plus être maître de ces rouages, en
abandonner la conception à une poignée
d'ingénieurs, fussent-ils éclairés,
c'est accepter d'être soi-même un peu machine. Les
logiciels survivront-ils, d'ailleurs, à leurs auteurs ?
Rendez-vous dans 25 ans : je ne suis pas du tout sûr que
Microsoft soit encore numéro 1 du logiciel dans le monde.
Adieu, Bill !
Bien sûr, pour faire un
café, j'ai concédé à
Moulinex le droit (que je paye) de fabriquer ma cafetière,
bien qu'aucune ne corresponde vraiment à mon goût.
Bien sûr, j'ai concédé à
Renault mon droit de concevoir ma voiture, bien qu'aucune ne
corresponde vraiment à mes envies. Mais, ici au moins, une
large concurrence, parfois fictive, existe : ce n'est pas le cas de
l'industrie du logiciel.
Enfin, faire mon café du matin,
aider à mes déplacements, c'est une chose ;
vouloir ordonner ma mémoire, m'expliquer comment je dois
jouer ou organiser mes idées et jouir d'un spectacle, c'en
est une autre. Si ma machine à laver recèle un
peu d'intelligence - un peu ! -, mon cerveau, mon coeur et mon corps en
détiennent autrement plus ! Les machines logiciellement
intelligentes, c'est-à-dire leurs fabricants, ne veulent pas
seulement s'occuper de la mouture de mon café, ils veulent
également régler mes pensées et mes
sentiments : les logiciels se veulent instruments de ma culture.
D'accord ! Mais seulement si j'ai le choix, c'est-à-dire si
je peut fixer moi-même le prix de mon abandon, de ma
démission.
Je veux payer les machines pour ce qu'elles
valent et le service qu'elles me rendent, non pour le plaisir qu'elles
sont censées me procurer. Je veux payer - une fois - les
auteurs et les créateurs pour le plaisir qu'ils me donnent -
plusieurs fois -. Je ne veux pas que les contenus, les objets de
culture, restent indéfiniment prisonniers des industries de
la distribution : est-ce que l'industrie automobile me fait payer ma
voiture au kilomètre parcouru et selon la beauté
des pays traversés ? Je veux payer les oeuvres sur la base
de leur qualité, non sur celle des canaux de diffusion
qu'elles empruntent.
Que les logiciels des machines
réintègrent leur cercueil de silicium ! Que leur
prix s'alignent sur le coût des quelques atomes qui les
enserrent.
Qu'on me donne les moyens
d'éditer ma musique, de créer mes films, de
publier mes textes, de jouer comme je l'entend, ça ne fera
pas de moi un Bach, un Coppola, un Chateaubriand. Me fournir de tels
outils n'empêchera pas non plus les futurs Mozart ou Pagnol
d'apparaître au monde, bien au contraire.
09.Obscénité
logicielle.
La fin des pirates ?
Où l'industrie du logiciel veut
dicter sa loi aux fondeurs de silicium.
Où la recherche de la
connaissance peut conduire en prison.
Côté
logiciels,
donc, je me plais
à penser de temps à autres que nous flottons en
pleine obscénité !
D'abord, vous n'êtes pas propriétaire, vous ne
disposez que d'un droit d'usage : subtile adaptation du
binôme nue-propriété/usufruit.
Là où ça devient ubuesque, c'est que
vous n'avez pratiquement aucune garantie de bon fonctionnement. Pire :
il est totalement illégal de lire le code, le '
reverse-engeneering' est
interdit :
nous devrions tous être en prison.
Par ailleurs, les logiciels sont devenus
brevetables ! Une ineptie !
En accordant des brevets industriels sur les idées,
à un point tel que le domaine public se voit restreint comme
une peau de chagrin, tout créateur potentiel se
découragera d'inventer, n'ayant plus à sa libre
disposition suffisamment de briques élémentaires
du savoir ; un système de propriété
intellectuel doit protéger le domaine public en
empêchant qu'il soit transformé en une lande
stérile allotie de minuscules
propriétés privées
cloturées de murs de pierres aussi hauts que vains
[d'après James Boyle - New York Times, 31 mars 1996].
Comment réagit l'industrie du
hardware, de la
quincaillerie
?
D'abord, elle poursuit sans relâche son travail de
miniaturisation !
Ca devient vraiment difficile d'explorer certains composants
électroniques, a fortiori de les copier : c'est '
Mission Impossible' ;
certains ont
même la fâcheuse tendance à
s'auto-détruire dès qu'ils aperçoivent
la lorgnette d'un microscope.
Ensuite, elle avait promis
d'intégrer les routines de base, genre gestion du
fenêtrage mais elle semble hésiter encore. Alors
elle accepte de passer un accord avec l'industrie du logiciel pour lier
le fonctionnement des 'bons' programmes aux 'bons' composants.
La voilà l'arme ultime ! La mort
de ces satanés pirates ! la fin des copieurs !
Enfin ! On va déporter les verrous dans les composants
électroniques. Comme il est difficile d'installer un
photolythograveur dans son salon, on va enfouir dans l'infiniment petit
les chaînes et menottes pour assujétir le
marché et le contraindre à payer son
écot.
Littéralement
obnubilé par la copie illégale, Microsoft s'est
présenté face à l'industrie des
médias comme le recours ultime ; Vista est la
première expression de cette tentative de sauvetage d'une
industrie en dérive. La solution proposée :
maîtriser toute la chaîne de restitution de
l'information, du réseau jusqu'au baladeur. Et l'industrie
du spectacle s'est engouffré vers cette promesse d'un nouvel
Eldorado ; à leur place de corbeau, je me
méfierai du renard qui ne fait que guetter sa proie !
Messieurs les successeurs de l'heureux et
plus intelligent Bill, vous allez vous heurter à un
problème délicat : à moins de nous
implanter dans le cerveau des dispositifs bioniques façon
George Orwell, vous ne maîtriserez jamais la
dernière interface.
Copier en classe, c'est très
vilain ! Mais c'est tout aussi infantile de le dire que de le faire :
la solution, ce n'est pas la punition, mais l'éducation.
Je ne crois plus à l'industrie
du logiciel, je crois aux contenus.
10.Copie et Copyright.
Et l'industrie des
contenus dans
tout ce fatras ?
Ah ! la Culture et le Savoir, avec deux
grandes majuscules !
Où l'on apprend que ces deux mamelles de toute civilisation
moderne
ne sont plus que tributaires des circuits de diffusion et de
distribution.
Les apôtres sont toujours les
auteurs des Evangiles, Rabelais de son Pantagruel ...., Ronsard de ses
poèmes, Racine et Corneille de leurs tragédies,
Chateaubriand de ses Mémoires d'outre-tombe, etc ...
Brassens, les Bee Gees et ... resteront à jamais les auteurs
de leurs chansons. Marcel Carné, John Wayne, Madison et Luc
Besson resteront les merveilleux auteurs de leurs films. Un jour
peut-être parlera-t-on d'auteurs de jeux ? Les deux questions
qui se posent ici sont celle de l'accès à ces
oeuvres et de la rémunération de leurs auteurs.
On entend dire : "la gratuité,
c'est le vol !". On oublie de préciser que la
gratuité est partout et qu'il y a toujours quelqu'un pour la
financer, même si on ne sait pas qui.
Par ailleurs, est-il bon de 'marchandiser' outrageusement
l'accès à la culture au risque de ne la rendre
accessible qu'aux nantis ? Faudrait-il d'ailleurs qu'elle soit
accessible tout court !
La littérature,
l'écrit.
De la matière grise pure
inscrite sur un média minéral ou
végétal. Un Droit d'auteur qui garantit la
paternité pour l'éternité et des
revenus de reproduction protégés pour quelques
dizaines d'années.
Elle n'est accessible librement qu'au terme
d'un délai de plus de soixante-dix ans. Soit !
Au-delà, plus de problème de
rémunération de l'auteur ou de ses descendants :
ne subsistent que des problème de
rémunération de la reproduction et de la
distribution. Avant 70 ans, il faut payer l'écrivain.
Ceci dit, a-t-on facilement
accès aux oeuvres de nos ancêtres : bien
sûr que non et il faut saluer l'initiative merveilleuse du
Projet Gutemberg pour trouver un peu d'espoir. Nos
collégiens ont-ils seulement accès à
autre chose que l'inénarrable dictionnaire papier offert une
seule fois à l'entrée en sixième ?
Avez-vous seulement cherché sur la Toile un dictionnaire
éthymologique français gratuit ? Ha, oui !
Heureusement qu'il y a le Littré !
La Musique.
De la matière grise vivante qui
ne peut être produite que par des artistes : les
médias qui lui servent de support n'en reproduisent que des
instantanés. Un Droit d'auteur qui promet la
paternité pour l'éternité, un
système de rémunération
très original, au moins en France, et des revenus
tirés de la reproduction pour quelques dizaines
d'années. La France a en effet inventé un
système de rémunération des artistes
particulièrement original : on mesure a posteriori la
diffusion des oeuvres et on répartit une bourse
financière entre chaque auteur au prorata de la diffusion.
Le système est-il efficace pour autant ? On a l'impression
que l'agressivité d'une certaine forme de
compétition a balayé la simple
émulation au profit de quelques artistes et, bien
sûr, au détriment du plus grand nombre.
Côté distribution, on
est passé du média papier (les partitions vendues
par les chanteurs de rue) aux disques en cire, puis aux cassettes
audio, aux CDs, etc. Chacun de ces médias a
réussi à pratiquement remplacer celui qui le
précède et à le faire
disparaître ; bientôt, il n'y aura plus de media
physique ou presque : les supports mémoire cohabiteront avec
d'immenses stockages réseau accessibles en ligne.
Pourquoi l'industrie de la musique
crie-t-elle avec des bruits d'orfrai : on croirait entendre Harpagon
crier au vol de sa cassette ? Parce que, justement, il n'est question
que de cassette, ... de cassettes remplies d'argent bien sûr.
D'un côté, elle s'est habitué
à l'inégalité de traitement entre les
artistes : l'objectif du capitaliste n'est pas
l'égalité, la juste répartition du
profit, ou la régulation de la création. Non !
Son objectif, c'est toujours plus. Si on pouvait se passer des
artistes, ce serait pas si mal ; n'est-ce pas d'ailleurs ce qui se
produit quand on voit les stars modernes standardisées,
normatives et asexuées ?
J'avoue tout de suite : j'ai
téléchargé des morceaux de musique sur
Internet.
J'ajoute immédiatement, mais pas
pour me disculper : plus de 80% de ma
'médiathèque' pirate représente des
titres qui ne sont plus aujourd'hui disponibles dans les bacs des
disquaires (ou plutôt de ceux qui les ont
remplacés).
Disons-le tout de suite avec un maximum
d'hypocrisie : il est mal de copier une oeuvre !
Mais rajoutons que le
téléchargement ne nuit pas à
l'industrie de l'édition musicale, mais à une
certaine conception qu'elle se fait de son métier.
Dès qu'elle produira les objets culturels que le
consommateur
désire au prix où il est prêt
à les acheter, alors il les achètera,
même s'ils sont téléchargeables
gratuitement. L'eau potable est presque gratuite (presque ! elle n'a
que l'apparence de la gratuité.), pourtant beaucoup d'entre
nous achètent de l'eau minérale en bouteille,
parce qu'elle a ou est réputée avoir meilleur
goût. Nous pouvons facilement prendre notre café
au bureau, mais beaucoup préfère aller au
café du coin parce que l'expresso qu'il sert est meilleur,
parfois plus convivial.
Les sociétés de
l'édition musicale doivent nous donner de bonnes raisons
d'acheter leurs produits : la musique sera librement
téléchargeable, mais la musique payante semblera
et sera "meilleure".
Si l'industrie de la création
persiste à vouloir trouver son salut dans l'industrie
logicielle, tout comme elle avait amassé ses profits en ne
valorisant que les blockbusters ou quelques têtes d'affiche,
et bien ... qu'elle meure avec elle !
11.Copie et Copyright (suite).
Et si on parlait aussi
des droits
du public ?
Sans oublier ceux des auteurs ou des
ayant-droits comme on dit.
Le marché ne cesse de chercher
son point d'équilibre ;
il va lui falloir au moins encore 20 ans pour le trouver.
Les films.
Si vous habitez en Province, comme moi, et
si vous montez de temps en temps à la Capitale, pour peu que
vous soyez un tantinet attentif aux affiches de films, il ne vous aura
pas échappé que nombre de films qui sortent
à Paris ne seront jamais diffusés dans votre
région.
Si, rempli d'audace, vous avez
osé vous aventurer dans un multiplex parisien, vous n'avez
pu qu'être surpris en constatant, là aussi, la
grande vogue des produits dérivées : je parle du
pop-corn, bien sûr ! Les salles de cinéma font en
grande partie leur marge sur la vente de cette alimentation minute. Si
elles pouvaient s'épargner la projection des films, ... A ce
propos, vous n'en avez pas assez des produits
dérivés ? Ils sont à la culture ce que
les dégâts collatéraux sont
à un guerre de pacification : inévitables !
Toujours est-il que, de retour dans votre
campagne négligée, assis devant une
télévision aussi nulle qu'elle s'est
démultipliée, vous vous demandez : que reste-t-il
de nos amours ? Qu'est-ce qui va bien pouvoir, pour une fois,
éveiller l'attention de mes neurones décadents et
éviter que je ne sombre prématurément
dans un Alzheimer culturel trop précoce pour pouvoir attirer
l'attention du corps médical et être
traité à temps ?
Le cinéma a-t-il tué
le théâtre ? La télévision
a-t-elle tué le cinéma ? Les réseaux
vont-ils tuer la télévision ?
En tout cas, chaque étape a vu
le mouvement s'accélérer !
Il faut quand même se souvenir
que les Studios Disney ont engagé en leur temps une action
en justice, interminable comme toujours aux Etats-Unis, contre ...
l'industrie du magnétoscope. Il leur a fallu 30 ans pour
comprendre, un peu tard, qu'ils pouvaient en tirer autant si ce n'est
plus de profits qu'avec leur vieux réseau de distribution.
Ce qui est en train de se passer sous nos
yeux aveuglés de gentils consommateurs, c'est un
ré-équilibrage mondial des marchés.
On va créer en France une Haute
Autorité de lutte contre le piratage (la copie).
Mi-2008, la police française démantèle
un dangereux réseau de pirates (encore !) dont les
activités rapportaient des sommes astronomiques à
leurs commanditaires (sic !), organisées en
véritable industrie de production de screeners, DVD-Rip et
autres films-HD ! On ne se moquerait pas un peu de nous ? Pour un peu,
on pourrait y voir, sinon l'oeil de Moscou, mais l'action des mafias de
l'Est - vous savez : les méchants indisciplinés,
sans foi ni loi.
Je le répète : c'est
très vilain de copier des films sur la Toile ! M'enfin !
Les jeux.
Ici, c'est une partie de l'avenir des
médias qui se joue ! Pauvres de nous !
Sa force ? C'est tout bêtement
une industrie neuve qui n'a pas eu à s'embarasser de
matériels existants, de circuits anciens, d'habitudes
profondément ancrées : elle peut se permettre de
tout balayer et elle ne se gêne pas.
Il faudrait encore parler de la radio : la
numérisation, formidable évolution technologique,
ne va-t-elle pas jouer en faveur d'une concentration des radios au
détriment de la belle diversité entrevue en 1981.
Il faudrait évoquer les journaux : l'apparition des gratuits
(seulement sur les grandes métropoles), les mauvais choix
technologiques fait par quelques directions mégalomanes (le
Monde), etc ... vont-ils nous permettre de sauvegarder
l'indépendance du journalisme, pas tant vis-à-vis
du pouvoir politique que vis-à-vis du pouvoir
économique ?
12.Accusé, levez-vous !
Où l'on
comprend mieux
qui sont les vrais pirates.
Elle : "Pirate ? Pirate ?
Est-ce que j'ai une gueule de pirate ?"
... Hélas, oui ! lui répondit-il.
Au commencement était la
société de consommation.
Vous achetez un magnétoscope, on
vous le livre avec deux trois malheureuses cassettes vierges. Les
loueurs de cassettes, ou de DVDs aujourd'hui, ont dressé
leurs embuscades au coin de la rue et vous attendent sereins : il va
bien falloir alimenter votre nouveau joujou culturel.
Papa et Maman achètent un
ordinateur ou une console de jeux pour leur gamin ; ils croient acheter
un peu de paix et conformer leurs rejetons à une mode
ambiante auxquels ils croient qu'ils aspirent. Qu'ils se rassurent !
Les vendeurs de jeux, d'occasion ou neufs, vont organiser le
marché, parfois bien noir, mais toujours juteux, de la
débrouille. Au pire, le gamin s'arrangera bien pour
emprunter les jeux à ses copains !
L'entreprise vous dote
généreusement d'un ordinateur portable, mais
interdiction de s'écarter des logiciels monumentaux et
règlementaires qui vous sont attribués.
Qu'on ne se méprenne pas : les
commerçants n'y sont pas pour grand'chose, ils ne sont que
l'interface finale d'un système industriel. C'est l'un des
rêves du Capitaliste : créer sa rente. Le
fainéant !
Prenez les opérateurs
de télécommunications : ils sont
assis sur une rente de situation formidable. Une fois les
investissements consentis pour créer un réseau,
ils n'ont plus qu'à s'asseoir et regarder tourner les
compteurs : c'est la plus formidable des machines à
cash-flow dont on puisse rêver : ce qui transite dans les
tuyaux, ce ne sont pas des octets, des bits ou que sais-je, c'est de la
monnaie, des ruisseaux d'or et d'argent liquides. Internet, de son
côté, ne fait que renforcer la donne en
fluidifiant encore le débit.
Considérez les chaînes
de
télévision : elles sont capables
d'offrir à leur public n'importe quel spectacle, pourvu
qu'elles trouvent des industriels avides de diffuser leurs messages
publicitaires. Elles ne sont en chasse d'audience que dans la mesure
où le téléspectateur est, par
ailleurs, consommateur de produits de grande consommation. Sauf
peut-être pour les informations et les grands
évènements collectifs, la plupart du temps
sportifs. Internet ne peut que les affaiblir en ce sens qu'il dilue une
manne financière qui n'est pas infinie.
Observez l'industrie
du logiciel : la nouvelle aristocratie du service,
misérable petite noblesse d'Empire qui veut disputer sa
place à l'Ancien Monde. Elle ne dispose d'aucune rente
économique ; alors, elle en a créé une
en forme de chantage : aucune machine ne peut fonctionner sans son
concours. Internet leur fait courir un risque inacceptable de
standardisation et de banalisation des logiciels ; ne survivront, bien
ou mal, que les géants mondiaux qui auront su capter sur
leurs serveurs le maximum de données personnelles : ce sera
le retour des vieux serveurs centraux d'autrefois.
Quant aux vrais industriels, les fondeurs
et les équipementiers,
ils fabriquent encore des objets et les vendent en une
démarche tout-à-fait classique, à ceci
près qu'ils réussissent brillamment à
infiltrer toutes les autres industries et tous les objets
manufacturés. Internet ne représente pour eux
aucune menace, au contraire ; la miniaturisation encore possible et
l'explosion des puissances disponibles n'a de conséquence
que sur l'augmentation de productivité qu'elle
entraîne, avec son cortège de malheurs sociaux.
Lequel de ces modèles
économiques va-t-il l'emporter sur les autres ? Quel groupe
industriel a-t-il imposer sa loi et sa propre rente ? Il y a quelques
années, je ne me serais pas hasardé à
un quelconque pronostic ; aujourd'hui, je suis prêt
à parier sur l'industrie des
télécommunications. Et c'est presque rassurant !
Au moins, c'est un monde connu.
En résumé. Les
opérateurs vendent du traffic, n'importe quel traffic. Les
télévisions vendent de la publicité,
n'importe quelle publicité. Les industriels vendent de la
quincaillerie, n'importe quelle quincaillerie. L'informatique vend ...
je ne sais quoi au juste. Elle cherchera de plus en plus à
vendre de la mémoire et ... "
la
mémoire, c'est l'identité"
! Relisez donc A.E. Van Vogt ou Korzybsky pour vous en convaincre.
Aujourd'hui, en tout cas, elle vend n'importe quel logiciel, pourvu
qu'il ait besoin d'être mis à jour - ils ont tous
besoin de mises à jour !.
Nous ne sommes, de fait, que simples
spectateurs d'une bataille industrielle gargantuesque sur fond de
nouvelle révolution technologique, enjeux
économiques de la conquête d'un marché
de masse par des multinationales qui s'entrechoquent.
On ne devient pas pirate, on l'est
naturellement par la force des choses ; et les moralistes, nantis ou
imbéciles, ne font que se mettre au service d'une machine
addictive : quand on achète une belle voiture puissante et
bien équipée, il faut s'attendre à
devoir remplir son réservoir d'essence, à payer
assurances, taxes, stationnements, octrois et péages divers,
etc.. Ca nous semble très naturel.
Que celui qui n'a jamais copié
une cassette de film pour son frère me jette la
première pierre et je suis certain de survivre à
la lapidation, sans une seule égratignure.
13.La chasse aux
sorciers(ères).
L'Inquisition (un sujet
qui ne
prête pas à rire) !
Où l'on va enfin parler des
mauvaises intentions dont l'enfer
du pouvoir économique est soigneusement pavé.
J'emprunte une partie des propos qui
suivent à deux ou trois articles de presse parus aux
Etats-Unis. Je n'ai pas noté le nom de leur auteur : qu'ils
me pardonnent de ne pas les citer.
Celui qui oublie que nous vivons une
révolution industrielle ne peut que se tromper dans son
analyse.
Après la révolution de l'énergie, le
charbon et sa machine à vapeur, le pétrole et la
révolution des transports,
l'électricité et le machinisme, l'atome et la
bombe atomique (mais aussi la fusion thermonucléaire), le
transistor et l'informatique miniaturisée viennent
bouleverser notre quotidien au moins autant que le feront les
prochaines découvertes en biologie moléculaire.
Les grandes institutions, l'Eglise
Catholique tout comme l'industrie du disque, réagissent
toujours de la même façon face à une
nouvelle technologie qui menace leur position dominante ; on peut
facilement prédire leurs réactions :
1. la détruire,
2. si ça n'est pas possible, la maîtriser,
3. si ça n'est pas possible, contrôler
ceux qui
les
utilisent : les consommateurs.
Le processus n'est pas nouveau : depuis
l'Antiquité jusqu'aux tribunaux d'exception, sans oublier
l'Inquisition qui a convenablement rationalisé la
démarche, les exemples sont nombreux.
Qu'on s'attriste en pensant à
Semelweiss qui comprit avant tout le monde qu'en demandant à
ses pairs de se laver les mains avant toute intervention
auprès des femmes prêtes à accoucher
à l'hôpital, il éviterait la
mortalité épouvantable qui régnait
dans les maternités ! Il fut amplement brocardé
par ses collègues.
Qu'on s'amuse un peu en repensant aux
propos de Jack Valenti (Motion Picture Association of America chairman)
devant le Congrès américain : "Les
vidéo-cassettes sont à l'industrie du
cinéma ce que l'étrangleur de Boston est
à une jeune femme seule dans la nuit.". Les ventes de
cassettes, aujourd'hui de DVDs, rapportent plus d'argent à
l'industrie du cinéma que la diffusion des oeuvres sur les
écrans de salles de cinéma.
Qu'on se scandalise en constatant qu'une
bonne partie des lois qui régissent le marché de
la Culture datent d'avant-guerre, celle de 39. Bien avant les
cassettes, les MP3s et le partage de fichiers via Internet.
On a rangé, semble-t-il, les
bûchers et la Question aux oubliettes (voire !) ; on n'a
toutefois pas oublié d'en appeler à la vindicte
populaire et au lynchage public. C'est désormais avec l'aide
du législateur, censé
précisément protéger les
consommateurs, que les institutions et les religions tentent de
préserver leur rente ou leur pouvoir.
Vieilles lois et nouvelles technologies,
vieux députés et jeunes
révolutionnaires, anciens régimes et jeunes
républiques .... mais aussi, nouveaux riches et anciens
nobles, lois modernes et savoirs ancestraux, vieilles
démocraties et adolescents au pouvoir .... Qui sait, qui
peut savoir ?
Ce qui semble certain, c'est qu'il faut de
nouvelles lois pour protéger de nouveaux usages. Et non pas
de vieux règlements pour censurer de jeunes pratiques.
Et puis, il faudrait pouvoir disposer de
temps ! Voilà ce qui nous manque le plus.
Nous avons appris à dominer
l'espace, au prix d'un écrasement de nos ressources
naturelles, mais nous comprenons à peine que la
maîtrise du temps est une autre paire de manches. Qu'on y
songe ! Il n'aura pas fallu 50 ans pour qu'une bonne partie de la
population des pays avancés disposât de voitures
individuelles. Il n'a pas fallu 30 ans pour que la radio ou la
télévision irriguent convenablement (!) notre
territoire. Il n'a pas fallu 15 ans pour que 75% de la population
dispose d'un téléphone mobile. Il faudra moins de
7 ans pour passer de 1 milliard de téléphones
mobiles dans le monde à 2 milliards. On pourrait multiplier
les exemples.
La conclusion est évidente :
tout veut aller plus vite, dans une société
hédoniste où la recherche du plaisir
immédiat l'emporte sur toute vision à plus long
terme : le Consommable l'emporte sur le Patrimoine.
A quel prix ? je devrais dire : au prix de
quels sacrifices ? Une réponse au moins : la
Diversité !
Il n'y a pas que dans le domaine de l'écologie que les
ravages des bienfaits de l'économie de masse font leurs
dégâts. Dans le domaine social, les fractures ne
font que s'accentuer. Dans le secteur culturel, elle détruit
en croyant offrir un sens commun ...
Nous vivons depuis des décennies
dans l'espoir, la croyance, ou la certitude que tout avenir sera
meilleur : une meilleure instruction, plus de libertés
individuelles et une démocratie mieux enracinée,
un meilleur confort, de plus grandes richesses, des loisirs et une
culture toujours plus développés, un travail plus
enrichissant. C'était vrai pour nos grands-parents et
nous-mêmes, ce sera vrai pour nous-mêmes et nos
petits-enfants. En tout cas, c'est ce que nous racontent nos livres de
classe, nos hommes politiques, nos dirigeants d'entreprise et nos prix
Nobel.
Pardon, je n'y résiste pas !
"Travailler plus pour gagner plus." alors que la
réalité sera probablement plus proche, comme le
dit si merveilleusement Philippe Sollers, de : "Travailler plus pour
compter moins."
Et bien, tout ceci n'est
peut-être plus vrai : de moins en moins vrai pour le plus
grand nombre, outrageusement vrai pour un petit nombre.
La Diversité, c'est la Vie, bien
sûr, mais c'est aussi l'expression de la Liberté.